Le soleil froid donnait un ton rose au grésil,
Et le ciel de novembre avait des airs d'avril,
Nous voulions profiter de la belle gelée.
Moi chaudement vêtu, toi bien emmitouflée
Sous le manteau, sous la voilette et sous les gants,
Nous franchissions, parmi les couples élégants,
La porte de la blanche et joyeuse avenue,
Quand soudain jusqu'à nous une enfant presque nue
Et livide, tenant des fleurettes en main,
Accourut, se frayant à la hâte un chemin
Entre les beaux habits et les riches toilettes,
Nous offrir un bouquet de violettes.
Elle avait deviné que nous étions heureux
Sans doute, et s'était dit : “ ils seront généreux ”.
Elle nous proposa ses fleurs d'une voix douce,
En souriant avec ce sourire qui tousse,
Et c'était monstrueux, cette enfant de sept ans
Qui mourait de l'hiver en offrant le printemps.
Ses pauvres petits doigts étaient pleins d'engelures.
Moi, je sentais le fin parfum de tes fourrures,
Je voyais ton cou rose et blanc sous la fanchon,
Et je touchais ta main chaude dans ton manchon.
Nous fîmes notre offrande, amie, et nous passâmes ;
Mais la gaîté s'était envolée, et nos âmes
Gardèrent jusqu'au soir un souvenir amer.
Mignonne, nous ferons l'aumône cet hiver.
François Coppée : La petite marchande de fleurs