Tétouan
À Chefchaouen il y a beaucoup de touristes sans que l’on soit pour autant harcelé, à Tétouan par contre, alors qu’il y a relativement moins de touristes, les “profiteurs” en tous genres, à l’affût de la moindre aubaine, sont nombreux et “insistants”. C’est apparemment une ville où les étrangers novices risquent fort de se faire pigeonner. Ceinte de montagnes (comme à Chefchaouen, bien qu’elles soient moins hautes), Tétouan est cependant une cité plutôt agréable.
En périphérie de la ville historique (médina et ville d’architecture coloniale) de nombreuses “villes-satellites” ont été construites (avec semble-t-il les capitaux des expatriés — la plupart des véhicules y sont immatriculés en Espagne), elles sont séparées par des collines boisées où il fait bon se promener. Mais rien ne vaut les flâneries dans la médina. Prendre son thé dans un petit café, se placer près d’une porte pour profiter au mieux de l’animation de la rue et des odeurs. Un vent dominant balaye la rue en apportant une délicieuse odeur de pâtisserie traditionnelle (que l’on est en train de faire frire dans du miel à quelques maisons de là), avec de temps à autre des variantes (pistache et autres parfums capiteux). Quand à l’animation de la rue, c’est un spectacle permanent dont on ne se lasse pas. Pour exemples, un type d’une trentaine d’années, plutôt bien habillé, calot blanc, veste vieux rose, pantalon noir, une chaussette blanche et l’autre jaune (?), sniffant un bout de chiffon (imprégné de quoi ?), s’efforçant de reproduire des postures d’arts martiaux en faisant le pitre... l’incessant remue-ménage des vendeurs à la sauvette qui plient précipitamment bagage à l’arrivée de la police, pour se réinstaller un peu plus loin l’instant d’après...
Il convient d’être attentif quand on flâne dans la médina — et dans la ville en général — au risque de commettre un “forfait” (plus dommageable moralement que matériellement). Le dénuement de tant de gens les amène à s’improviser commerçant, on vend de tout et n’importe quoi, un peu partout : un bout de plastique ou de carton à même la rue, quelques broutilles posées dessus, et on attend le client. Il y a tellement de personnes qui font ça, tellement de concurrence, que la stratégie consiste — pour moins risquer de passer inaperçu — à empiéter le plus possible vers le milieu de la rue (au lieu de bien se ranger sur le côté). Le passant quelque peu distrait risque à tout instant de piétiner et d’envoyer allègrement promener tout le commerce d’une de ces personnes (comme par exemple de vieilles revues jaunies et écornées, posées sur une feuille de plastique pratiquement au milieu d’une ruelle de la médina).
Mon lieu préféré pour m’adonner à la rêverie se trouve dans le quartier situé derrière le Palais royal. C’est une toute petite place — une cour rectangulaire — perdue dans les dédales de la médina et isolée de l’agitation commerçante. Sur l’un des plus grands côtés il y a quatre minuscules échoppes (de 2 m sur 2, pas plus), en face le café (environ 2 m sur 8) et sur les deux petits côtés, deux autres échoppes et les étroits passages. Elle est recouverte d’une vigne et au centre il y a de nombreux pots de plantes vertes. Une des échoppes sert d’annexe au café (y sont entreposées les caisses et l’armoire réfrigérante des boissons gazeuses), toutes les autres sont occupées par des artisans couturiers (sur tissus ou cuir — le quartier des tanneurs n’est pas loin). Il y a quelques petites tables devant le café et des tabourets un peu partout — changeant de place au gré des besoins, et empilés dans un coin lorsqu’ils ne sont plus utilisés. Hormis les quelques personnes qui y travaillent, la plupart des occupants viennent y fumer leur pipe de haschisch. L’accueil de l’étranger est tout d’abord réservé, on le regarde de travers et on fait mine de l’ignorer. On s’assoit à une table, personne ne demande ce que l’on veut et on cherche en vain à qui s’adresser pour commander un thé. Quand on a l’habitude de ce genre de situation — un peu comme une mise à l’épreuve — et que l’on dispose de tout son temps, “l’apprivoisement” ne tarde pas à s’accomplir. Les contacts sont alors francs et cordiaux et l’on a tôt fait de partager thé et casse-croûte. Et l’on revient régulièrement, toujours avec le même bonheur. J’aime l’ambiance de tels endroits où l’on se sent comme dans un décor de conte pour enfants : un univers en miniature, hors du monde et du temps. On y voit l’étrange façon de coudre un bord de djellaba, alors que le couturier est dans son échoppe, plusieurs mètres plus loin en face de lui (dans la cour) un jeune tient les fils avec des poignées en les croisant et décroisant en rythme (une sorte de métier à tisser pour coudre — en chair et en os). Les fumeurs de haschisch sont bien équipés : une belle pipe qui se démonte en plusieurs parties (le tube en 2 ou 3 morceaux selon la longueur de la pipe, plus le foyer) et se range dans un étui en cuir. Le tableau serait incomplet sans les deux habitués des lieux les plus choyés : des chats.
À la limite supérieure du quartier le plus haut perché, à flanc de montagne, d’où l’on a la meilleure vue sur l’ensemble de la cité, on découvre un chemin, de tracé relativement récent, qui à travers bois part plus haut dans la montagne. On peut y voir passer des caravanes d’ânes et de mulets, chevauchés par des hommes et des femmes, avec des sacs pleins de provisions — des montagnards qui vont vendre leurs produits au marché de la ville ou qui retournent à leur village avec leurs achats. Le chemin suit plus ou moins les lignes de crête des sommets. Il y souffle souvent un vent frais, par endroits si fort que l’on se sent bousculé et que l’on se demande si l’on ne va pas décoller. On côtoie les nuages au point d’être, de courts instants, dans le brouillard. Les arbres laissent vite place à une végétation plus rase et plus rare, il n’y a plus que des rochers et des buissons à perte de vue. Cet unique chemin, dans ce paysage de montagne désertique, parcouru de caravanes, revêt un petit quelque chose de fantastique... et c’est magnifique ! On ne sait pas où l’on va mais l’on est décidé : on y va en éprouvant un grisant sentiment de liberté. Au terme de près de trois heures de marche, on constate, non sans surprise, que le chemin s’arrête net sur un abrupt, les caravanes disparaissent d’un coup — plusieurs sentiers pentus se perdant en contrebas. Et l’on découvre un village accroché au flanc de la montagne, il a même sa mosquée — une mosquée plutôt imposante, à l’écart à quelques cinquante mètres des maisons. L’ensemble, vu de loin, a belle allure : tous les bâtiments sont peints en blanc. En entrant dans le village on se rend compte que non seulement il n’y a pas de route d’accès, mais pas même un petit chemin : que des sentiers escarpés ! Aux alentours de Chefchaouen on s’étonne de voir des maisons isolées seulement desservies par un sentier — et l’on se demande comment on a pu les construire ; ici c’est tout un village — avec sa mosquée !
De même dans le village, il n’y a pas de rues, que des sentiers rocailleux et sinueux. On a partout l’impression (et ce n’est sûrement pas qu’une impression) d’être chez les gens et non pas sur une voie publique. La première personne qui nous a vu était un enfant, près d’un abreuvoir — a-t-il eu peur ? il est parti si vite qu’il a perdu une de ses sandales en plastique...
Qu’est-ce que j’aime l’ambiance de cette petite place de la médina (évoquant un décor de livre de contes). Un artisan vient le matin avec un sac contenant ses outils et matériaux, s’installe à une petite table, près des plantes vertes, met un coussin sur sa chaise, et travaille là toute la journée — la cour est son atelier. Il confectionne des étuis pour pipe à haschisch. Il fait régulièrement des pauses pour fumer sa pipe et boire une gorgée de thé ou de café au lait, selon le moment de la journée (le contenu du verre dure des heures). Aujourd’hui quatre couturiers et leurs jeunes aides cousaient simultanément selon la technique des fils croisés (c’est, lors de la finition, pour coudre le bord des vêtements en tressant un cordonnet). L’espace restreint de la cour était bien utilisé — pas un mètre carré n’était laissé sans usage. Pendant que les quatre enfants “jonglaient” en cadence avec leurs fils, un cinquième, plus jeune, confectionnait des avions en papier — et pendant les temps de pause les avions tournoyaient sous le ciel de vigne. Même les chats avaient du mal à se faufiler entre les tabourets tout en évitant les multiples atterrissages en piqué. Les discussions avec les habitués qui m’ont “adopté” ne manquent pas de saveurs — suaves, aigres-douces ou franchement piquantes. En fin de soirée, certains n’étant pas loin d’une indigestion de “chocolat”, les lieux étant faiblement éclairés (les échoppes ont fermé), les visages ont les traits tirés, l’ambiance devient autrement étrange — on est ailleurs ...
Bribes de voyage
Maroc 1 Rabat / Dakhla