Al Hoceima : sentiments mitigés
Le ciel bleu et le soleil sont de retour, mais ce n’est pas la chaleur du sud : le blouson est de rigueur, le temps n’est plus au tee-shirt.
La ville domine la mer du haut d’une falaise. Un grand café-restaurant présente une succession de terrasses très bien aménagées, avec vue plongeante sur une petite plage et une partie du port. C’est un endroit bien plaisant pour prendre un verre, lire, contempler et rêver — quelle que soit l’heure du jour.
Il est dommage qu’il n’y ait pas un accès plus direct au bord de mer (port et plage) pour les piétons (par un sentier et des escaliers). Il faut faire un long détour par une route sinueuse. Le petit port de pêche n’a rien de bien séduisant. J’y ai vu un employé à genoux tondre un gazon avec un taille-haie (comme une grosse paire de ciseaux). Cela m’a rappelé une scène observée à la Martinique il y a quelques dizaines d’années. Dans le parc botanique de Fort-de-France, c’était tout un rang de femmes qui avançaient à genoux pour couper, avec ces cisailles, l’herbe d’une grande pelouse. À l’époque la scène nous avait paru surréaliste et nous n’avions pas compris — en France métropolitaine il n’y avait alors pas de problème de chômage (et donc pas besoin de créer plus ou moins artificiellement des petits boulots).
Une assez grande et pimpante gare maritime est désespérément vide (je crois qu’il y a quelques liaisons avec l’Espagne en été).
Un peu à l’écart de la ville, de grands espaces sont aménagés en promenades surplombant la mer, ils sont quasi déserts, s’y promener à la nuit tombée, au clair de lune avec, pour rompre le silence, seulement le cri des mouettes et quelques bateaux de pêche rentrant au port, est assez envoûtant.
Des collines boisées, dominant à la fois la cité et la mer, offrent la possibilité d’agréables balades...
Une grande esplanade (après la démolition d’un hôtel) vient d’être aménagée afin d’ouvrir la ville sur la mer. L’idée était excellente, mais cette place n’a aucun charme — même avec la mise en scène, certains soirs, de jets d’eau éclairés en rouge et vert.
Bien que sans unité, la ville reste assez plaisante en journée, cependant le soir elle est peu animée (vers 21h30 tout ferme ou presque, peut-être parce que l’on est hors saison), ce qui est étonnant pour une région qui a des affinités avec l’Espagne.
De retour à Chefchaouen
D’Al Hoceima à Chefchaouen toujours ces routes sinueuses de haute montagne, nous avons de nouveau un temps voyagé dans et au-dessus des nuages — les vallées ressemblent alors à de vastes lacs à la blancheur éblouissante sous le soleil ... féerique ! À moindre altitude nous avons traversé une région où toutes les prairies n’étaient qu’un tapis de boutons d’or (ou de petites fleurs jaunes-or).
Bien que nous soyons en montagne, il fait beaucoup plus chaud à Chefchaouen qu’à Al Hoceima (pourtant au bord de la Méditerranée). Encaissée au milieu des montagnes, la ville bénéficie d’un microclimat particulièrement favorable.
Pour ma première balade je suis allé voir la restauration de la petite mosquée sur la colline (plutôt qu’une restauration on a reconstruit le bâtiment à côté du minaret existant, et l’on a aménagé l’accès — escaliers et pont — ainsi que le pourtour). J’ai attendu le coucher du soleil avant de redescendre.
Au mépris des “petites gens”
Je suis retourné lire à mon nid d’aigle préféré (la montagne est toujours là, debout, la cale est restée en place).
En milieu de matinée plus d’une dizaine de motards (des Français d’une quarantaine d’années) sont arrivés pour prendre d’assaut le sentier de randonnée. Je n’ai pu m’empêcher de leur suggérer d’aller faire joujou ailleurs et de leur dire combien ils étaient gonflés de venir ici. Membres d’un club de trial du sud de la France, ils avaient une autorisation officielle pour organiser une épreuve en début de semaine prochaine. Ils venaient reconnaître le parcours, le flécher et signaler les passages particulièrement difficiles.
Ces sentiers de montagne sont empruntés chaque jour par des femmes et jeunes filles, lourdement chargées, qui vont vendre fruits et légumes à la ville. Ils sont soigneusement façonnés au fil des ans des mains de ceux qui les empruntent : je vois régulièrement des hommes replacer des pierres, les caler, les disposer en guise de marches — tout cela pour rendre la circulation plus aisée, surtout dans les passages les plus difficiles. Là plus précisément où les motos dérapent et patinent, détruisant tout en un seul passage !... Pour le plaisir d’un jour de ces messieurs, des femmes et des jeunes filles vont pendant des mois, sous le poids de leurs fardeaux, glisser sur des cailloux déstabilisés, au risque de se fouler la cheville. Mais qui s’en soucie ?...
Brèves de Chefchaouen
Chakib m’a montré ses dernières aquarelles (elles sont belles et délicates, l’une d’elles, une rue vide de la médina, un chat ... m’a fait penser à mon album de photos “Chatchaouen”). Il s’apprête à peindre une acrylique sur une grande toile («l’acrylique c’est facile, c’est à l’aquarelle que l’on mesure le talent d’un artiste peintre...»). Dans son hôtel le stress est interdit de séjour.
Je lisais sous les pins à flanc de montagne, à quelques mètres seulement passe un berger qui ne cesse de tenir des discours à ses chèvres, ponctués d’amples gestes de la main, à ses côtés son chien baille (lequel doit avoir la vue basse et le flair enrhumé), ils ne m’ont pas vu.
J’ai compté les pétales des pâquerettes, leur nombre varie de 8 à 15 , d’où l’incertitude de l’effeuillage : je t’aime, un peu, beaucoup...
Oued Laou, hors saison
Oued Laou est une bourgade de bord de mer qui s’étire à côté d’une très longue plage, parfaitement rectiligne. Elle est devenue une station balnéaire qui doit être bondée en été — des gens venant, pour se baigner, de Chefchaouen et de Tétouan. Les trois quarts des bâtiments sont de construction récente. Avec des extensions sur les collines avoisinantes, ce qui donne un curieux mélange de ville et de campagne, avec champs, ânes, mulets, vaches, moutons et volailles.
En cette période les terrasses des cafés-restaurants sont quasi vides, et l’on a l’impression de disposer de la plage pour soi tout seul. J’aime l’ambiance hors saison des stations balnéaires. Deux endroits de la plage sont occupés par les barques de pêche. En front de mer de grands espaces, aménagés en promenades, sont restés publics (malgré la récente flambée des prix de l’immobilier).
J’ai fait une longue randonnée, parcourant des sentiers abruptes sur les arrêtes des montagnes dominant Oued Laou. Cheminant au milieu de buissons de fleurs blanches et de touffes de lavande, j’avais une vue magnifique sur la baie, le bleu franc de la Méditerranée, toute la ville et sa longue plage — de là-haut elle paraît si droite qu’on la croirait tirée au cordeau.
Dans les prochaines années, c’est toute la région qui aura connu une profonde mutation. Tout au long de la route côtière de Tétouan à Oued Laou, d’importants travaux sont en cours pour élargir la voie et supprimer des virages. Plus en retrait dans les terres, ce sont des chantiers encore plus impressionnants qui préparent la réalisation de l’autoroute qui relira Tétouan à Al Hoceima.
La transformation spectaculaire d’Oued Laou en station balnéaire n’a vraiment commencé que depuis cinq ans. Et au fil des discussions avec les gens du coin, je comprends que ça ne fait pas que des heureux. Le coût de la vie ayant beaucoup augmenté, des habitants modestes sont contraints d’aller s’établir plus loin à l’intérieur des terres.
Manger au bord de la plage, face à la mer, devant les barques. Regarder des pêcheurs préparer leurs filets. Deux chats venant quémander quelques reliefs du repas. Un chien étendu sur le flanc dans le sable, faisant sa sieste au soleil. La caresse du vent. Quoi de plus ?
Tanger la fête du sacrifice du mouton
Ça y est, c’est le Grand Jour : l’Aïd el Kébir. On dit habituellement en français “la fête du mouton”, ce n’est pourtant pas sa fête à lui — c’est le moins que l’on puisse dire. Dans le quartier, depuis hier soir, on s’affaire à briser toutes sortes de veilles planches, et l’on prépare des tas de bois pour alimenter les braseros (de gros bidons ouverts sur le dessus, avec du sable au fond). On entend un peu partout, sur les terrasses, dans les arrière-cours, et même dans les appartements, les moutons bêler. Le grand égorgement n’a pas encore commencé.
Lorsque je suis sorti tout à l’heure (à 8h) l’ambiance était surprenante. Toute la ville semblait presque totalement désertée : tous les commerces et la presque totalité des cafés étaient fermés, très peu de personnes dans les rues, quelques groupes de jeunes sniffeurs de colle (il semble y en avoir de plus en plus au Maroc, en tout cas dans les grandes villes), les clochards qui du coup, plus visibles, semblaient plus nombreux. Quelques passants tout de blanc vêtus. Loin d’une ambiance de fête, on se croirait à l’imminence d’un grand cataclysme annoncé (il faut dire que c’est bien un peu ça, pour les moutons tout du moins). Comme pour parfaire cette inquiétante atmosphère, les ordures de la veille, non ramassées, jonchent le sol, et de nombreux énergumènes déambulent un couteau de boucher à la main. Si bien qu’un passant a cru bon me rassurer : «ne vous inquiétez pas, les couteaux c’est pour les moutons» ... Même les chiens errants sont visiblement inquiets, ils s’arrêtent, comme prostrés, au milieu des rues et des places quasi désertes, ils sentent bien que quelque chose de tout à fait inhabituel est en train de se passer. ...
Les braseros, installés sur chacune des placettes de la médina, sont là pour griller les têtes et les pieds des moutons sacrifiés. Une odeur de chair grillée s’est répandue dans la ville, jusque dans la chambre : le petit balcon donne sur une placette où officient des enfants-grilleurs — de surcroît très bruyamment bavards. Certaines ruelles sont même inondées de flaques de sang.
J’entends la corne de brume d’un bateau entrant ou quittant le port.
La ville reste endormie, les activités tardent à reprendre. Ce matin dans le petit café, pas de lait, café noir ou thé. L’usage du tabac à priser semble devenir une mode pour les jeunes (en plus des usagers traditionnels : les personnes âgées). Les cigarettes sont partout vendues à l’unité, je n’avais pas remarqué qu’il en était de même du tabac à priser. Le vendeur a un flacon verseur posé devant lui, généralement sur un mouchoir ou une serviette pliée, et le client s’en saupoudre une ligne sur le dos de la main (plus exactement sur le côté, près du pouce), la sniffe, et paye sa dose. Cela, au moins, a l’avantage d’être légal et peu onéreux.
Tanger vaque au ralenti, de très nombreux commerces sont restés fermés.
Miracle : un mouton bêle sous mon balcon, ils ne sont donc pas tous morts !
Bribes de voyage
Maroc 1 Rabat / Dakhla