Médecines douces et suggestion L’homéopathie comme exemple
«L’homéopathie représente probablement la principale médecine douce de pure invention occidentale*, elle est particulièrement typique, dans sa démarche, de l’esprit de la plupart des médecines douces et parallèles (adresser un message à tout l’organisme afin de susciter une réponse globale). Alors que la médecine allopathique ne fait que se substituer à l’organisme, pour pallier ses défaillances, pour combattre le “mal” à sa place, au contraire le principe de la médecine homéopathique est de stimuler les défenses naturelles de l’organisme afin qu’il se défende lui-même. La substance active des médicaments (dans la médecine allopathique) possède des propriétés permettant de contrer, voire de détruire, les agents pathogènes responsables de la maladie, d’en supprimer ou tout du moins d’en réduire les effets négatifs sur l’organisme. L’exemple type est celui de l’usage des antibiotiques qui détruisent tous les germes microbiens à la place des globules blancs lorsque ceux-ci sont débordés par le développement rapide de l’infection. À l’inverse, pour comprendre la logique homéopathique on peut prendre à titre d’analogie le modèle de la vaccination. On inocule alors dans l’organisme le germe, préalablement désactivé, responsable de la maladie dont on souhaite se préserver. Ce leurre mobilise les défenses naturelles qui produisent des anticorps, ils seront dès lors disponibles pour défendre efficacement l’organisme en cas de contact avec le germe virulent. Un traitement homéopathique consiste à ingérer une substance susceptible d’engendrer les effets pathologiques que l’on cherche à supprimer. Cette substance, préalablement suffisamment diluée** afin de perdre toute nocivité, est censée (comme le leurre du vaccin) stimuler les défenses en permettant ainsi de traiter naturellement la pathologie.
* L’homéopathie a été conçue à la fin du 18e siècle par un médecin allemand, Christian Hahnemann (1755-1843).
** Une dilution extrême constitue l’essentiel de la préparation des médicaments homéopathiques. (C’est même devenu un terme d’usage courant «à dose homéopathique» pour signifier en quantité infime.) L’unité du coefficient de dilution homéopathique (CH) correspond au rapport 1/100. On mélange par exemple 1 litre de substance active dans 100 litres d’eau, on obtient alors 1 CH. On prend 1 litre de ce mélange que l’on dilue dans 100 litres d’eau et l’on obtient 2 CH... ainsi de suite. La dilution minimale correspond à 15 CH. On est ainsi bien au-delà des limites physico-chimiques de conservation de la substance initiale. Il ne subsiste plus de trace de principe actif dans le mélange finalement obtenu (neutralisation par dilution infinitésimale). Le produit de la dilution est pulvérisé sur des granules de lactose (très petites pastilles sphériques) pour obtenir la présentation finale du médicament. Pendant la durée du processus de dilution le mélange ne cesse d’être agité, ce qui est censé le dynamiser afin qu’il conserve un pouvoir thérapeutique.»
«Par sa conception totalement différente du traitement, l’homéopathie correspond (dans son projet originel en tout cas) à un changement d’état d’esprit ; tant du médecin homéopathe qui, en principe, doit accorder plus d’intérêt à la vie du patient * et lui consacrer plus de temps lors de la consultation ; tant de la part du patient dont le choix (s’il est vraiment motivé) suppose une plus grande implication, du fait même du parti pris thérapeutique avec les représentations et valeurs qu’il mobilise. Lorsqu’elle est exercée “dans les règles de l’art” l’homéopathie accorde plus d’importance à la relation médecin / malade, c’est là un de ses principaux intérêts. Et bien que ce soit très loin d’être toujours le cas — les médicaments homéopathiques sont aussi aujourd’hui prescrits par de nombreux médecins et dans les mêmes conditions que les autres prescriptions — elle reste cependant un placebo bonifié.
* Encore faut-il que le patient soit bien informé et qu’il adhère à l’esprit de la démarche, sinon il risque d’être agacé par ce médecin qui pose des questions dont les réponses ne le regardent pas — c’est alors plutôt contre-productif.»
«Dans les granules homéopathiques, il n’y a rien mais il y a quand même quelque chose. Il n’y a rien en regard du déterminisme naturel (pas de substance active), mais il y a quelque chose en regard du déterminisme symbolique (valeur des représentations). Subsiste l’intention (ceci dit sans ironie) et ce n’est pas rien (sans aller jusqu’à dire que «seule l’intention compte»). On a la mobilisation de tout un ensemble de représentations correspondant à une sorte de “philosophie” du soin, c’est en ce sens que ça va plus loin que la prescription d’un simple placebo. Ceci étant dit, que le lecteur adepte de l’homéopathie et autres médecines douces soit rassuré, elles resteront toujours aussi efficaces. Dès lors qu’ils suffisent, mieux vaut sans aucun doute des médicaments garantis “sans effets secondaires” plutôt que des “drogues sur ordonnance”.»
Extrait de mon livre Thérapeutiques psychiques, de la suggestion à la psychothérapie, Ellipses, 2009.