En dépit des recommandations du Conseil d’éthique, le gouvernement et les parlementaires s’apprêtent à ouvrir une brèche dans le fondamental principe de la garantie de l’anonymat des dons. (C’est le profil même des donneurs qui va changer : subsisteront principalement ceux qui sont animés d’un fantasme phallique.)
(Projet de loi fort heureusement reconsidéré : pour un maintien de l'anonymat.)
Récemment dans le journal télévisé de mi-journée d’une grande chaîne, un jeune homme d’une vingtaine d’années — issu d’une famille de trois enfants nés de dons de sperme — se réjouissait de cette possible prochaine évolution de la législation. C’est que, selon ses propos, son père pourrait être un commerçant du voisinage ou un de ses professeurs... sans qu’il le sache !
Que peuvent penser et ressentir ses parents ? et tout particulièrement son père ? Auraient-ils désiré — avoir et élever — l’enfant d’un autre !?
Et le plus dérangeant c’est que ce jeune homme, apparemment en toute innocence, ne semblait pas se rendre compte de la violence de ses propos.
Ce sont de telles dérives que l’on encourage et que l’on se propose aujourd’hui de légaliser.
«Le nouveau-né n’a pas d’avenir s’il n’a sa place dans le désir de ses proches. De ce point de vue c’est le désir des parents qui fait l’enfant (dès avant sa conception) et dès lors donne à la matière organique (l’ovule fécondé puis l’embryon) sa qualité humaine. (...) D’une manière complémentaire on peut également dire que c’est le désir d’enfant qui fait les parents, lesquels ne sont pas forcément les géniteurs. La filiation constitue un aspect fondamental de l’identité, encore convient-il que dans sa quête le Sujet ne se trompe pas d’histoire.» (...)
«En règle générale on peut considérer qu’un enfant est la concrétisation de l’amour du couple qui le désire. (...) Bien que dans nos sociétés on privilégie fortement la filiation naturelle, du point de vue psychologique ce qui légitime le fait d’être les parents d’un enfant c’est surtout le désir que l’on a pour lui, l’amour qu’on lui donne, le fait de s’occuper de son bien-être au quotidien et de se soucier de son devenir.»
«La procréation médicalement assistée avec don de gamète, le plus souvent don de sperme (plus rarement et plus récemment don d’ovocyte), constitue un bon cas de figure pour préciser ce que signifie être père ou mère d’un enfant. Depuis une soixantaine d’années environ un million de couples dans le monde ont pu avoir un enfant grâce au don de sperme. Imaginez leur situation. Une femme et un homme vivent en couple, s’aiment et désirent avoir un enfant. Lequel tarde à venir, ils s’impatientent en vain puis s’inquiètent et finissent par consulter un médecin. Après les nombreuses contraintes liées aux divers examens ils apprennent la stérilité du mari. Un temps désemparés, mais leur amour et leur désir d’enfant étant les plus forts, entre l’adoption et le recours au don de sperme ils choisissent la deuxième solution. Quelques galères et incertitudes plus tard, arrive enfin l’heureux événement tant attendu. Ce bébé, fruit de l’amour et du désir partagé d’un couple obstiné, pouvez-vous imaginez, ne serait-ce qu’un instant, qu’il n’est pas le fils de son père ou que sa mère a voulu l’avoir avec un autre homme que son conjoint ? Ici le géniteur de l’enfant n’est en aucune façon son père. C’est dire aussi que l’on peut être en toute légitimité (légale et psychologique) le père d’un enfant sans en être le géniteur. Dans de nombreux pays, notamment en France*, le don de sperme est bien un don (il n’est pas vendu) et surtout le donneur reste anonyme, ce qui n’est pas le cas des pays où le “don” de gamète est un commerce lucratif ouvert à toutes les dérives (et le comble est que cela puisse parfois être justifié par un prétendu intérêt de l’enfant).
* En France la loi sur la bioéthique réglemente précisément les conditions du don de sperme. L’anonymat est garanti et c’est véritablement un don (on ne peut faire commerce des “produits” humains, il en est du sperme comme du don de sang ou d’organe). De plus le donneur doit être un homme marié, père d’au moins un enfant, âgé de moins de 45 ans et son sperme ne peut donner ainsi naissance à plus de cinq enfants. Le couple receveur doit être hétérosexuel (ce point sera inévitablement reconsidéré dans l’avenir), en âge de procréer, marié ou vivant ensemble depuis ou moins deux ans.»
«Lorsque les banques de sperme sont des entreprises privées à but lucratif, elles sont inévitablement soumises à la loi du marché et tous les moyens sont alors bons pour se distinguer des concurrents et attirer les clients, d’où les irresponsables surenchères que l’on peut constater dans certains pays. On s’est mis à communiquer de plus en plus d’informations sur les donneurs (caractéristiques physiques nombreuses et précises, activité professionnelle, activités de loisir, goûts personnels, milieu social, origine ethnique, QI...) à tel point que maintenant on peut les choisir sur catalogue avec photos — sans que l’on ne se soit inquiété des énormes conséquences psychiques — et pour finir on peut même sous certaines conditions connaître leur identité pour les contacter. Si de dérive en dérive on a pu en arriver là c’est parce que la stratégie est commercialement payante, en effet la plupart des futurs parents qui rêvent comme il se doit du meilleur pour leur enfant (c’est-à-dire qu’il corresponde au mieux à leur désir) croient trouver là l’opportunité de satisfaire leurs exigences, même les plus “folles”. Passons ici sur les évidents risques de dérive eugénique (et sur les scandales qui ont déjà défrayé la chronique). Lorsqu’une femme a recours à cette technique de fécondation elle a presque toujours l’impression de “tromper”, ne serait-ce qu’un tout petit peu, son conjoint, c’est une difficulté qu’elle doit surmonter au mieux et sans tarder (de même que l’homme se sent forcément atteint dans sa virilité et blessé dans son amour propre, ce qu’il doit lui aussi dépasser au plus tôt). Pensez maintenant à la femme qui, en présence du mari, choisit le géniteur idéal en évaluant son avantageuse constitution sous tous ses aspects, croyez le si vous voulez, c’est alors une toute autre affaire. Le conjoint dans tous ses attributs, de mari, futur père, amant, n’est-il pas déjà largement disqualifié ? et l’avenir du couple pour le moins incertain ? Reste le devenir de l’enfant dans de telles conditions, il est assurément bien difficile de l’imaginer confortable. La mère peut être célibataire et désirer avoir un enfant sans pour autant vouloir s’encombrer d’un conjoint (forcément imparfait à vivre dans la banalité de la réalité au quotidien), alors devant son catalogue elle fantasme à sa guise le parfait “père” de son non moins parfait enfant à venir : il est tout à la fois beau et athlétique comme un super amant, intelligent et cultivé comme un ami agréable, riche et généreux comme un bon mari. Inutile d’insister sur l’emprise qu’elle exercera plus tard sur son génial enfant. Ainsi doit-on s’étonner après ça du fait que ces enfants puissent grandir sans avoir adopté leur véritable père (lorsqu’ils sont des enfants de couples) et qu’ils fantasment à leur tour sur leur géniteur promu “père” (ils désirent le rencontrer et tous les prétextes sont bons). Le désir de l’enfant de connaître son géniteur est à la mesure du fantasme de la mère envers celui-ci et de la carence, dans la vie réelle, d’un père disqualifié (disqualifié aux yeux de la mère, aux yeux de l’enfant, ainsi qu’à ses propres yeux).»
«Les donneurs (ou vendeurs) de sperme ne le font pas pour avoir un enfant. Souvent étudiants, ils le vendent pour financer leur études (et pouvoir plus tard assurer de meilleures conditions de vie à leurs propres enfants), déjà pères de famille, ils le vendent pour arrondir les fins de mois (et améliorer l’ordinaire de leurs propres enfants). Ainsi cette femme disant malicieusement « avec le sperme de mon mari ont a pu avoir... une voiture », cet étudiant précisant la banalité de la masturbation pour fournir du sperme, c’est « comme faire du roller » — non sans plaisir mais sans plus de conséquence. Les donneurs de sperme n’ont pas de désir d’enfant, tout au plus le désir d’aider des parents à réaliser leur désir d’enfant. Il arrive qu’un seul donneur des plus grandes banques de sperme, exportant dans le monde entier, puisse permettre la naissance d’une centaine d’enfants. Imaginez donc tous ces enfants revenant vers leur géniteur « bonjour papa, nous revoilà ». On a beau plaisanter la réalité est parfois plus consternante. On a ainsi vu d’anciens donneurs, célibataires quelque peu esseulés, accepter d’échanger courrier et photos avec ces enfants, cherchant les ressemblances — et finir par les rencontrer, poussant ainsi l’illusion jusqu’à la perversion, avec la dissolution des couples et l’entretien du désarroi des enfants. D’autres anciens donneurs se contentent de fantasmer après-coup, en se disant qu’il serait plaisant de rencontrer tous ces enfants, une fois devenus adolescents, d’échanger des idées avec eux, d’apprécier la nature d’éventuels liens (comme en devenant pour eux une sorte de gourou), un beau “délire” phallique en somme.»
«Lorsque ces enfants prennent leur géniteur pour leur père, c’est là un monstrueux malentendu, ils se trompent d’histoire. Ils renient leur propre histoire pour se projeter, voire pour s’immiscer en une forme d’effraction, dans une histoire qui n’est pas la leur, mais l’histoire d’un homme qui a sa propre famille. Forcer ainsi les deux histoires à interférer est d’une extrême violence psychique, et cela pour l’ensemble des protagonistes. Pour ceux qui ont déjà leur identité en souffrance (les enfants demandeurs, le père disqualifié qui va ainsi être “achevé”) et aussi pour ceux (le géniteur et tous ses proches qui n’ont pourtant rien demandé) qui vont avoir leur identité sérieusement remise en cause, plus encore s’ils sont déjà vulnérables. Fréquemment la mère et son enfant (et ses enfants) justifient le fait de vouloir prendre contact avec le géniteur par le prétexte d’une curiosité qui ne serait qu’intellectuelle — “rien que pour savoir”, avec soit disant l’intention d’en rester là, ce qui n’est psychiquement pas crédible, et donc une position intenable. Dès lors que l’on a ne serait-ce qu’entrouvert la porte de cette quête illégitime, il n’y a pas de raison de vouloir (ni moyen de pouvoir) la refermer, on se situe alors hors du registre du raisonnable et de la responsabilité. Pour chacun il est bien sûr important dans sa quête identitaire de connaître son histoire, d’être au clair avec sa filiation. L’enfant né d’un don de sperme, comme tous les autres enfants, s’inscrit dans l’histoire et le désir de ses proches, ce qui psychiquement (psychoaffectivement et socioculturellement) le fonde. Il importe que ses parents l’informent très précocement et le plus simplement possible des conditions de sa naissance (le recours à une technique médicale pour pallier la stérilité de son père). Dès lors que les parents n’en font pas un problème (et surtout ne se sentent pas coupables) il n’y a pas de raison pour que ce soit un problème pour l’enfant. Il sait bien qui sont ses véritables parents dès lors qu’ils ont la possibilité de tenir leur place.»
Extraits de mon livre Le psychisme, Réalité et Sujet psychiques, Ellipses, 2009. Daniel Fanguin