Manakara (suite)
Parti de bonne heure faire une grande randonnée dans la campagne je croisais des femmes venant à la ville chargées d’une corbeille sur la tête et des hommes une barre de bois sur l’épaule, avec à chaque extrémité un, deux, voire trois (selon leur âge et leur corpulence) sacs de charbon de bois. Tous parcourent ainsi de grandes distances (je ne suis pas le seul à beaucoup marcher ! mais moi je le fais pour mon plaisir). J’ai croisé une femme, marchant droite, une grosse et lourde corbeille de fruits et légumes sur la tête, avec la jambe gauche atrophiée (le pied pendant à 20 cm au-dessus du sol) ; une perche sous le bras gauche, tenue des deux mains, lui servant de deuxième jambe — une prouesse ! En bonne santé, avec mes bonnes chaussures et mon petit sac, curieusement je ne me sentais pas très à l’aise.
Arrivé dans une zone aquatique où l’on ne pouvait plus que circuler en marchant dans l’eau (de l’avantage d’aller pieds nus), ou en pirogue dans de nombreux canaux, renonçant à patauger dans l’eau — ne serait-ce qu’à cause des sangsues et autres vers parasites — j’ai fait demi-tour. D’autant qu’une personne m’a dit qu’il fallait faire attention parce qu’il y avait des crocodiles. (En fait pour tout dire j’ai tenté de continuer... mais quand j’ai vu la bête !...).
(Je plaisante... la bête je l’ai photographiée au parc zoologique de Tana.)
De retour d’une balade d’une journée à pied à une douzaine de kilomètres au nord de Manakara, en suivant une piste entre océan et canal des Pangalanes (au moins 25 km au total ! environ 24 aller et retour plus les à-côtés), je me repose chez Anatolie au son de la radio qui diffuse d’anciennes chansons françaises du genre “Capri c’est fini”, “J’entends siffler le train”, “Que je t’aime”... (pour exemple les chansons d’Adamo sont toujours d’actualité...).
Quand je vois la légèreté des constructions traditionnelles, il n’est pas étonnant que les cyclones soient si dévastateurs. Ils construisent leurs maisonnettes un peu comme, enfant, je construisais mes cabanes — la toiture est faite de palmes, moi j’utilisais des fagots de genêt, c’est à peu près la seule différence... j’exagère à peine.
Au resto où nous allons manger presque tous les soirs je m’assieds habituellement près de la porte, là où il y a un peu plus d’air. En voulant déplacer la chaise — et en la trouvant bien lourde — je me suis rendu compte qu’un gros coq était dessous tranquillement perché sur un des barreaux. En pensant aux puces j’ai changé de place, bien que je ne sois pas du tout sûr de l’efficacité de la stratégie !
Déjà le dernier jour de ce séjour à Manakara, j’ai partagé mon temps entre une promenade le long de l’océan indien (qui était aujourd’hui particulièrement agité) et la flânerie dans un village de pêcheurs sur le bord du fleuve.
J’ai mangé des fruits dont je ne connaissais pas le nom, comme le “jevy” au goût acidulé assez agréable (mais au noyau filandreux très désagréable) ou la “pokanelle” gros fruit à l’apparence extérieure d’un artichaut, avec à l’intérieur une pulpe gélatineuse laiteuse, très douce, avec de gros pépins noirs.
Plus de 13h pour faire 170 km en train ! Heureusement qu’il n’y avait pas trop de monde, on pouvait facilement se déplacer pour se dégourdir les jambes — et même descendre pratiquement à chaque gare.
Le train s’est non seulement arrêté dans les 17 gares (comme à l’aller) mais certains arrêts ont été très longs, du fait du chargement dans le wagon à marchandises de corbeilles d’oranges ou mandarines et de bananes. De plus on a eu droit à de nombreux “arrêts techniques” — voie occupée par d’autres wagons de marchandises (on devait se mettre sur une voie de garage pendant que les deux locomotives allaient déplacer les wagons pour libérer la voie principale...), morceau de carrosserie qui se détache et tombe sur les rails, pannes d’éclairage (la nuit tombée c’est un problème !)... Pendant une partie du voyage j’ai fait la connaissance d’un Malgache d’environ 70 ans, ancien militaire retraité de l’armée française, aussi bavard que sympathique. Il venait d’un village de montagne (et amenait à la ville un jeune qui prenait le train pour la première fois, il fallait voir sa tête ébahie) ; j’ai eu droit à d’anciennes chansons françaises comme “Il venait de la montagne...” , même à la Marseillaise, à des chansons du temps où il était scout, avec en prime une chanson en créole (souvenir d’un séjour à la Réunion) ; et à des fables de la Fontaine (du temps de sa scolarité) comme la chèvre de Monsieur Seguin et le laboureur et ses enfants — quelle mémoire ! Quant à sa vie actuelle, c’était un peu confus surtout parce que j’avais du mal à comprendre son élocution (avec en plus le vacarme des roues sur les rails)... Quand on a retraversé le tunnel de plus d’un km, avec les échappements des moteurs diesels des deux locomotives, il était temps qu’on en sorte... avant l’asphyxie ! (portes et fenêtres restent ouvertes pendant tout le trajet). Ceci dit, dépaysement garanti, aussi intéressant qu’à l’aller...
Ambositra
Ambositra est une grosse bourgade construite autour d’une colline — au sommet une place, de nombreux points de vue sur les montagnes et la campagne environnante, une imposante église toute de briques rouges. On est toujours dans le Betsileo, région très fertile avec des cultures variées, des rizières et des pâturages où paissent des troupeaux de zébus.
Comme un peu partout à Madagascar la plupart des gens sont très pauvres — ici ça se voit peut-être un peu plus qu’ailleurs. Certains quartiers sont limites en ce qui concerne les conditions de vie et d’hygiène : des bicoques de bois au toit de tôle, des rues boueuses où des enfants en guenilles, tout ébouriffés, pataugent pieds nus dans la gadoue avec la volaille et parfois des cochons, où des gens vendent à même le sol des fruits et légumes à côté de tas d’ordures... Il y a aussi de belles maisons typiques — bien que généralement assez délabrées. Ce n’était pas un bon jour pour les chiens aujourd’hui ; dans la rue principale — où circulent voitures et camions — j’ai vu au beau milieu un chien écrasé, les entrailles à l’air (les véhicules l’évitaient mais personne pour l’enlever, il y est resté toute la journée) et un peu plus loin, sur le côté, un autre jeune chien mort (il avait lui aussi dû être heurté par une voiture), avec en prime un rat écrasé (également les entrailles à l’air). Le travail du bois (sculptures et marqueterie) est une spécialité de la ville et de ses environs : c’est surtout un artisanat spécial touristes, pâle copie sans grand intérêt de l’art africain (personnages et masques qui n’ont rien à voir avec la culture malgache). Comme il y a peu de touristes en cette période et pas mal de boutiques, ce n’est pas la prospérité ni la joie chez les marchands (qui interpellent le passant avec insistance).
Ce matin j’ai fait un périple de quatre heures (de 8h à midi) qui m’a conduit jusqu’à des villages à flanc de montagne au milieu de rizières en terrasses. Il n’y avait plus comme voies de communication que d’étroits sentiers (comme dans les montagnes du Rif au Maroc, je mesurais la difficulté à construire des maisons sans un vrai chemin d’accès).
D’un village à l’autre la traversée des rizières constituait un véritable labyrinthe. Par deux fois je ne savais plus où passer, heureusement qu’une jeune fille puis une femme m’ont aidé à trouver une issue. J’ai dû marcher sur d’étroits talus avec de chaque côté l’eau des rizières. À certains moments c’était si étroit que j’avais l’impression d’être un funambule marchant sur un fil — d’autant que par endroits il y avait d’un côté un dénivelé qui pouvait atteindre un mètre et plus ! Inutile de préciser que je ne faisais pas le fier — en plus, la terre étant mouillée, ça glissait ! Je craignais de tomber (c’eut été la certitude de perdre mes chaussures dans la boue). Ce devait être la première fois qu’ils voyaient là un vazaha. Et je n’intimidais personne, les adultes venaient vers moi assez narquois et les gamins étaient tout excités — à tel point que dans la cour d’une petite école, l’instit a dû intervenir pour les calmer... Au final une belle balade et d’agréables rencontres.
Il y a une grande tenture du dessin animé “La belle et le clochard” sur le mur de la chambre et deux petits agneaux entourés de fleurs imprimés sur la serviette de bain. N’est-ce pas mignon ?
En ce moment je fais une cure de goyaves et de beignets de banane... et je ne compte plus les cafés !
Aujourd'hui au cours d’une nouvelle randonnée (de 5h), au sommet d’une colline, sur le rocher où a été tué le dernier roi bestileo lors de la conquête merina, je me suis longuement laissé emporter au fil de mon imagination tout en contemplant les paysages alentours. D’un côté, en direction d’Ambositra, la plaine avec ses cultures, ses rizières et ses pâturages, et de l’autre (à l’opposé) le flanc de la montagne avec ses villages et ses rizières en terrasses où je me suis aventuré hier — je pouvais avoir une idée du parcours que j’avais fait. Puis, cette fois sans quitter les sentiers principaux, je suis monté jusqu’au sommet de la montagne qui domine toute la plaine : un permanent magnifique panorama. Je suis redescendu par un autre versant en suscitant la curiosité des villageois de rencontre et, comme toujours, plus encore celle des enfants.
Bribes de voyage
Madagascar 1 Tana / Tuléar