Chefchaouen
La ville est bâtie à flanc de montagne avec un beau panorama sur la vallée entourée de hautes montagnes. Les maisons de l’ancienne médina ont été repeintes en différents tons de bleu, cela va d’un bleu soutenu, voire d’un bleu turquoise, à tous les dégradés jusqu’au bleu ciel très pâle. C’est une mise en valeur esthétique pour touristes — avec boutiques, restaurants et cafés. Mais ça reste plaisant et les commerçants ne sont pas “agressifs”. Bien que ce soit une ville très touristique elle n’en est pas moins paisible, on y ressent même une sorte de sérénité (l’environnement montagneux y est sûrement pour quelque chose). C’est la région de production du haschisch — et l’étranger est sollicité dès son arrivée. On peut dire, très schématiquement, qu’il y a ici trois types de touristes occidentaux : ceux de passage assez bref qui veulent simplement voir le site, ceux qui restent pour fumer tranquillement (et sans doute à moindre coût), et les randonneurs qui sont là pour faire des sorties en montagne (je m’apparente à la 3e catégorie : un flâneur-rêveur lecteur de poèmes).
Les sentiers de randonnée, en s’élevant dans la montagne, offrent une magnifique vue d’ensemble de la ville. On peut y croiser des bergers conduisant leur troupeau de chèvres et même, à l’occasion, se faire “charger” par un bouc — plus exactement il m’a poussé en collant sa tête contre moi, tout en “rouspétant” (en faisant un bruit d’intimidation avec ses narines). (Pour tout dire je voulais le prendre en photo et manifestement il n’était pas d’accord.) Ah ! les dangers de la montagne...
La ville (qui n’est pas très grande) est très agréable avec ses petites places, ses terrasses de café, ses nombreux lieux ombragés où il fait bon lire, agréablement installé... la galère quoi !
L’ambiance fait parfois penser à certaines villes du Népal : l’environnement montagneux sans doute, l’aspect de certaines maisons de briques et de bois, certaines boutiques qui vendent des pulls et bonnets en grosse laine artisanale (ces pulls qui après le premier lavage deviennent des serpillières), et aussi les baba-cool amateurs d’herbe. On peut se poser un moment à l’ombre près de la place principale de la médina, place entièrement bordée de terrasses de restaurants et cafés “chics”, dédiés aux touristes. La foule y est bigarrée, des passants très “classes” aux routards ployés sous d’énormes sacs à dos (ah ! s’ils savaient combien c’est agréable — et bien suffisant — de voyager avec un petit sac en bandoulière), en passant par le genre “nostalgiques de mai 68”, barbes et cheveux longs, robes et châles style indien, “chèche” à franges de soie... avec la diversité des nationalités et des langues parlées (il y a beaucoup d’Espagnols, ils ont des hôtels et restaurants spécialement conçus pour eux).
Il y a de nombreux chats dans la médina — j’aime bien les chats, je trouve qu’ils contribuent à l’ambiance sereine de la cité (mais mieux vaut ne pas chercher à les caresser, certains ont le pelage douteux).
Deux jours par semaine des femmes berbères en tenue traditionnelle (coiffées de leur chapeau de paille orné de cordelettes et pompons de laine, parfois multicolores) descendent de leur montagne et s’installent pour la journée dans les ruelles de la médina. Elles y vendent les produits de leur potager : menthe fraîche, figues, figues de barbarie... fruits et légumes divers.
Les circuits de randonnée suivent des chemins de terre à mi-montagne qui desservent des fermes (au toit de tôles ondulées) dispersées en des lieux escarpés d’accès peu aisé. Ce sont pour la plupart des bergeries, les pâturages rocailleux dominent et les lopins de terre cultivée sont restreints. Assez inattendu, de belles petites maisons en dur (construites en briques, crépies et peintes en blanc, avec toit en terrasse) sont également blotties à flanc de montagne, certaines seulement accessibles par des sentiers, on a peine à imaginer le transport des matériaux de construction (forcément à dos d’âne ou de mulet). Ce sont sûrement des Marocains émigrés (ou/et des commerçants du produit local d’exportation) qui se sont fait construire une maison sur leur terre de naissance.
On peut s’éloigner des sentiers battus — et du “chant” strident (c’est loin d’être un chant !) des cigales — en empruntant les discrets sentiers des bergers, permettant d’atteindre le sommet des montagnes. Escarpés, étroits et sinueux, ils ne sont pas toujours faciles à suivre — surtout dans les dédales de rochers à escalader ou contourner dans des positions acrobatiques. Cependant la descente est souvent encore plus acrobatique et périlleuse que la montée (surtout à cause des pierres instables et des risques de glissade, mais c’est quand même plus rapide — et surtout moins fatiguant). Ce sont des balades inoubliables — on se sent si bien en montagne que l’on a peine à redescendre.
Il faut être particulièrement prudent lorsque l’on emprunte un corridor d’éboulis. On s’inquiète généralement de la stabilité des pierres où l’on pose les pieds, mais l’on ne pense pas toujours à la stabilité de l’ensemble. C’est que tout une “plaque” de plusieurs mètres d’éboulis peut se mettre à glisser sous les pieds du randonneur en l’emportant avec elle (à la manière d’une coulée de neige). Qui n’a pas dévalé quelques mètres debout sur une coulée de pierres — comme porté par un radeau — ne se rend pas forcément compte du risque.
Pour qui ne la connaît pas la montagne est trompeuse : sa masse imposante “écrase l’espace”, les distances sont beaucoup plus grandes qu’elles ne semblent ; du fait de l’importante déclivité ce que l’on croit être le sommet ne l’est pas et, le plus souvent, on ne cesse d’aller de “sommet” en “sommet” ; les passages qui de loin semblent faciles s’avèrent généralement difficiles voire impraticables (à l’inverse des terrains qui semblent très chaotiques peuvent présenter des passages relativement faciles). Mieux vaut partir à plusieurs pour ce genre de randonnée (sinon avec un guide).
Un conseil qui vaut de l’or (ou presque : de l’eau à la bouche). Lorsque l’on part se balader par forte chaleur, il est recommandé de garder un noyau dans la bouche (de datte, dans le sud... de prune...). On n’a pas à le sucer, il suffit de le laisser dans la bouche (encore faut-il ne pas l’oublier et l’avaler !...) cela évite le dessèchement des muqueuses. C’est simple, efficace et très utile.
Après avoir marché toute la matinée, franchi un petit col, quel bonheur, au plus chaud de la journée, de s’installer pour quelques heures à l’ombre d’un jeune figuier. Y manger, après le pain et le fromage, les figues bien mûres que l’on a apportées. Puis s’allonger dans l’herbe pour une sieste — en regardant, à travers les larges feuilles du figuier, les évolutions de fins nuages dans le ciel bleu. C’est dans ces moments que l’on se dit : à quoi bon se compliquer la vie ?... Par intermittence un petit vent frais balayait la prairie m’éventant agréablement et faisant frissonner les arbustes alentour. Tout était pour le mieux, si ce n’est quelques morsures de fourmis, aussi agressives que minuscules — alors que d’autres, très grosses, allaient leur chemin sans se soucier de ma présence. Après ça pas très évident de reprendre le chemin du retour.
La journée a été chaude, sportive, et riche en rencontres. Hier sur un sentier j’avais aperçu au loin un lac, c’était l’objectif de ma randonnée d’aujourd’hui : atteindre ce lac en ne suivant que des sentiers et chemins de terre. Et bien sûr le lac était beaucoup plus loin qu’il semblait, de plus les sentiers étaient souvent très escarpés. Heureusement sur le trajet des sources permettaient de se rafraîchir. Au nombre des sympathiques rencontres, un groupe de jeunes paysannes.
Partout le paysage était magnifique : les fermes accrochées à flanc de montagne, certaines quasi inaccessibles, les petites parcelles de terres cultivées, la plupart très pentues, et toujours les majestueuses hautes montagnes en arrière plan. Je ne suis arrivé au lac — plus exactement dans la plaine herbeuse qui le prolonge — qu’en milieu d’après-midi. Mais quel spectacle ! Alors qu’en cette saison la végétation est aride, quel contraste d’apercevoir, même de loin, cette grande étendue plane et verdoyante (elle doit être sous les eaux du lac en hiver) toute remplie de troupeaux : chèvres et moutons, mais aussi chevaux et vaches. Cela m’évoquait (en réduction) un reportage animalier dans une grande plaine d’Afrique Noire — je n’aurais pas été surpris de voir apparaître un troupeau de zèbres et quelques girafes...
Le lac atteint, un vent fort soufflait, rafraîchi par l’étendue d’eau, là aussi c’était un gros contraste (d’avec la chaleur du trajet). On peut longer tout un côté du lac, bordé de lauriers roses, sans trop s’approcher, le sol étant glissant — et même un peu marécageux par endroits.
Bribes de voyage
Maroc 1 Rabat / Dakhla