Une vaste zone est aménagée pour la transformation d’une partie de la pêche (le second choix). Les poissons y sont mis à sécher au soleil, étalés sur des claires-voies, après avoir été salés par saupoudrage ou trempage dans un bain de saumure.
Certains sont préalablement cuits, à même le sol, sous une couche d’aiguilles de conifère.
Avec une charrette tirée par un cheval, on va tous les jours dans les forêts côtières faire provision d’aiguilles de conifère. Elles forment de gros tas (comme des meules de foin) à côté des aires de cuisson.
À voir ces poissons brunis, ramassés par terre (parfois à proximité de tas de détritus), sortis des cendres pour être mis à sécher, ils ne semblent pas très appétissants. On peut même se dire que l’on ne voudrait pas en manger. Pourtant je me souviens que dans le nord du Bénin, dans les restaurants de rue, il n’y avait que de tels poissons à manger, avec du riz ou le plus souvent de la pâte de maïs. Je les mangeais sans problème d’autant qu’ils ont en fait une agréable saveur.
Il y a parfois des situations pour le moins cocasses. Alors que j’attendais l’ouverture du local internet (le seul à Kayar, seulement deux ordinateurs) une vieille dame est venue me montrer sa dent cariée qui la faisait souffrir. Elle voulait que je la lui arrache ! et elle insistait. L’origine de “toubab” est “toubib” — mais quand même !...
Les porteurs, avec leur casquette surmontée d’un coussin, qui transportent le poisson depuis les pirogues jusqu’à la plage ou les quais de chargement des camions, travaillent à la tâche. Ils attendent sur la plage avec leur caisse en plastique, dès qu’une pirogue arrive ils se précipitent vers elle, marchant dans l’eau jusqu’à mi-cuisse, c’est à ceux qui arrivent les premiers pour y lancer leur caisse. Les jours où la pêche est moins bonne, nombre d’entre eux chôment.
Je suis impressionné par la dextérité des jeunes artisans et étonné par la rapidité avec laquelle ils fabriquent une pirogue de taille moyenne (et qui plus est les toutes petites), une journée peut suffire ! Cela avec les plus simples des outils manuels. Certaines parties, le fond et les extrémités, sont façonnées avec art et précision ; cependant le tout, particulièrement les planches des côtés, est assemblé avec une profusion de grosses pointes de charpentier qui souvent font éclater le bois et dont les bouts sont grossièrement repliés (ici on n’utilise pas de vis). Il faut tout de même quelques jours de plus pour la finition : colmater les fissures et jointer les planches avec une pâte artisanale spéciale, poncer un peu, peindre et décorer.
Sur les côtés sont généralement inscrits les noms des propriétaires et de beaux motifs ornent l’avant (avec assez souvent l’effigie d’un chef religieux). Pour les très grosses pirogues c’est une toute autre affaire ! Cela s’apparente à un chantier de construction de bateaux. Leur entretien et leur réparation, lorsqu’on les remonte sur la plage, nécessite aussi de nombreux jours de travail. Sans compter les importants filets embarqués dont il faut sans cesse réparer les accros et déchirures.
Aujourd’hui le ciel était nuageux, le coucher de soleil sur l’océan féerique : une symphonie de mauve sur dégradé bleu pétrole, avec les reflets sur les vagues, dans le miroir du sable mouillé et, en bonus, les silhouettes sombres des oiseaux se détachant sur le ciel embrasé.
L’océan est plus agité que d’habitude. Je viens d’assister à l’aide collective apportée à un pêcheur en grande difficulté. Seul dans sa grosse pirogue (il ne revenait donc pas de pêche) il devait avoir une avarie de moteur et ne pouvait passer la barre. Sa barque était rudement malmenée et il levait les bras pour demander de l’aide. Longeant la plage de nombreuses personnes sont accourues : des costauds (heureusement) mais aussi une ribambelle d’enfants et des femmes inquiètes. Un courageux (et surtout bon nageur) s’est jeté à l’eau pour se rapprocher de la pirogue. Lorsqu’il a été à bonne distance, le marin s’est à son tour jeté à l’eau en déroulant une corde. Ils se sont rejoints pour venir vers le rivage en tirant la corde. Des dizaines de personnes se sont alors mises à l’eau pour se saisir elles aussi de la corde. Ils ont ainsi tous tiré la barque jusqu’à ce qu’elle vienne toucher le sable. Une dizaine d’autres personnes sont montées à bord pour écoper à pleins seaux. Il a fallu un long moment pour la vider de toute son eau. Je mesurais après-coup à quel point le marin avait vraiment été en mauvaise posture. C’est un métier assurément risqué, d’autant qu’ils ne disposent pas (à ma connaissance) de secours en mer — heureusement qu’en pareil cas la solidarité joue à plein.
La pêche est incertaine, c’est incroyable les différences de prises d’un jour à l’autre. Avant hier je n’avais jamais vu autant de poissons, il y en avait d’énormes tas un peu partout sur la plage. Aujourd’hui il n’y a presque rien, les femmes qui attendent en vain avec leurs bassines font grise mine, de même que les porteurs, quant aux marins pêcheurs rentrés presque bredouilles... Selon l’explication qu’un gars m’a donnée, et je ne sais pas du tout ce qu’elle vaut, ça dépendrait, en fonction du temps, de la plus ou moins grande clarté de l’eau : lorsque l’eau reste claire jusqu’à une certaine profondeur, les poissons éviteraient les bateaux et leurs filets. Moi je crois plutôt que la pêche est plus difficile lorsque l’océan est plus agité, comme c’est le cas aujourd’hui, d’ailleurs ce soir il n’y a pas non plus de pêcheurs à la ligne sur la plage.
Les principaux poissons pêchés (selon le passage des bancs) : les bonites (thons), sardines, anguilles (nombreuses en certaines périodes), parfois des rougets et quelques poulpes — et bien d’autres variétés...
Ceux qui s’occupent des chevaux et du transport en carriole se situent dans deux quartiers distincts de ceux des pêcheurs. Ce ne sont pas des cavaliers, ils ne montent pas leurs chevaux, mais conduisent leurs carrioles avec maîtrise et grande précision. Il arrive que certains jeunes profitent de la marée basse pour faire galoper leur cheval sur la longue plage. Parfois même, à deux attelages, ils font la course. Leur vitesse est alors assez impressionnante, et les chevaux ont l’air d’aimer.
La longueur du filet embarqué dans les grosses pirogues est spectaculaire ! Il ne faut pas moins de trois carrioles surchargées, à la queue leu leu, pour le transporter. Je me demande comment de telles pirogues, aussi grosses soient-elles, peuvent tirer un aussi grand filet sans chavirer — et j’imagine le travail de forçat des marins lorsqu’il faut le remonter plein de poissons ! Quand elles partent en mer, en plus des bidons de carburant, ces embarcations sont lestées de sacs de sable — lesquels sont vidés dans l’océan au fur et à mesure des prises. Certaines arborent pavillon français, je suppose que leur construction a été financée par une association d’aide franco-sénégalaise. (Depuis pas mal d’années déjà le village de Kayar est jumelé avec le port de Lorient en France. C’est depuis lors que les pêcheurs de Kayar ont des cirés pour partir en mer, ainsi que des gilets de sauvetage.)
À une dizaine de kilomètres de Kayar, en cette région de cultures maraîchères, dans le premier village de bord de route il y a tous les jours un grand marché de fruits et légumes très coloré (comme ils le sont d’ailleurs tous).
À peu de distance se trouve un lac avec une colonie de flamants roses. Bien que l’étendue d’eau soit importante, en cette saison elle est entourée de vastes zones asséchées (bientôt avec la saison des pluies la surface du lac sera très certainement impressionnante !).
Ici les baobabs sont moins impressionnants qu’à Madagascar, ils sont cependant beaux, voire majestueux avec leur allure de vieil-ar-bre, en tout cas ils ne manquent pas de susciter le respect.
Un changement notable de temps (avant les nuages était rares), depuis quelques jours le matin le ciel est couvert, les nuages se dissipent progressivement en cours de journée, le soleil jouant d’abord à cache-cache finit par s’installer plus durablement. On sent que l’hivernage approche, d’ici à deux semaines viendront probablement les premières pluies. Le ciel nuageux, le paysage légèrement brumeux, les couleurs métallisées de l’océan, ça ne manque pas de charme !
Bribes de voyage
Sénégal 1 Bakel / Podor