Bribes de voyage : Madagascar 1 Tana / Tuléar

EXTRAITS de mes JOURNAUX DE VOYAGE

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    Nationale 7  (de Tananarive à Tuléar)

    Quatre jours de route (en taxi-brousse — minibus de 15 places), quatre jours (et nuits) de pluie continue (nous sommes en février, c’est encore la saison des pluies à Madagascar). Les cyclones ont fait des dégâts, surtout sur la côte est (l’île de Sainte-Marie est ravagée). Même la capitale semble assiégée par les eaux — aux alentours de Tananarive la plupart des champs sont inondés.

    Jusqu’à Fianarantsoa la route serpente dans un massif montagneux (les villes sont à environ 1400 m d’altitude) avec, aux flancs des vallées, une succession de petites rizières en terrasses et, dans les plaines, des rizières de plus vaste superficie. En cette saison elles sont toutes en eaux ce qui fait de magnifiques jeux de miroirs. Des troupeaux de zébus paissent aux abords de la route et parfois la traversent en ralentissant la circulation. Les maisons sont construites en briques avec des toits de chaume ou de tôles — plus rarement de tuiles. La plupart ont un étage avec un balcon couvert — celles qui n’ont pas d’étage ont généralement un auvent. Tous les cours d’eau sont en crue — de l’eau chargée de boue tombe en cascades des sommets ; les torrents, les ruisseaux et les rivières sortent de leur lit en formant de nombreuses étendues d’eau recouvrant les cultures et parfois inondant quelques maisons. De nombreux arbres ont été déracinés par les cyclones et se sont couchés sur la route — ils ont été partiellement tronçonnés ou tirés de côté pour libérer un passage. Par endroits la chaussée est également rétrécie par des coulées de boue et chutes de rochers.

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    Nous prenons nos repas (repas malgaches traditionnels) dans les “hotely” (petits restos populaires) : du riz accompagné d’un peu de viande en sauce (de zébu, de poulet ou de porc) avec un bol d’eau bouillie (de cuisson du riz — ou bouillie dans la marmite de cuisson du riz avec quelques plantes) pour humecter le riz blanc et boire (ce qui, à défaut d’être très goûteux, est bien adapté — il n’est en effet pas recommandé de boire de l’eau non bouillie).
 
    Antsirabe est une ville où il y a beaucoup de pousse-pousse (comme dans certaines villes en Inde). Les jeunes (et moins jeunes) qui les tirent marchent fréquemment pieds nus, dur, dur... et sous la pluie ! Ils se précipitent vers les “vazaha” (les étrangers) car ils peuvent demander beaucoup plus que le tarif habituel.
    La plupart des gens sont d’une extrême gentillesse (et l’ambiance des taxis-brousse est incomparable). Peu de moustiques, trop de pluie sans doute, les moustiques ce sera probablement après.

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    Une fonction inattendue du coupe-vent étanche : il peut aussi servir à faire des réserves d’eau. Alors que je buvais un café en discutant avec une charmante jeune femme — debout au comptoir d’une petite échoppe en bois, sous un étroit auvent de tôle — de l’eau coulant du toit s’est amassée dans ma capuche rabaissée dans le dos (sans que je ne m’en rende compte). En me courbant pour entrer dans le taxi-brousse j’ai vidé toute l’eau sur les jambes d’un passager...

    De Fianarantsoa à Ihosy le trajet devait être court (environ 3h30), mais c’était sans compter les aléas de la saison des pluies : route coupée par la montée des eaux. Une journée d’attente dans le minibus, jusqu’à ce que le niveau d’eau permette la traversée — moteur coupé, poussé par des gens de bonne volonté (c’est toujours assez impressionnant les passages à gué).

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    En début d’après-midi nous avons traversé Ilakaka, la ville des mines de saphir — partout des comptoirs ouverts sur la rue où les chercheurs de saphir viennent vendre leurs pierres. Une ambiance de ville de Western ! (Il n’est pas du tout conseillé de passer la nuit à Ilakaka : trop de règlements de compte qui dégénèrent.) La visite des villes et régions intéressantes bordant la N7 ce sera au retour, après la saison des pluies.

    Même à Tuléar il a beaucoup plu et le soleil se fait attendre. Le temps est lourd, l’air, brassé par les palmes du ventilateur qui ronronne au plafond, est tout juste respirable.

 

    Côte ouest (nord de Tuléar)

    Ce n’est pas la haute saison touristique et il n’y a pas beaucoup d’étrangers. Un certain nombre de vazaha (étrangers), plus ou moins établis ici, forment une belle galerie de portraits — qui ne sont pas toujours à leur avantage. Des touristes d’un âge certain, avec leur pouvoir d’achat (dans un des pays les plus pauvres) et toutes les attentions qu’ils suscitent, ont tendance à se prendre pour des “nababs” (le spectacle est parfois assez affligeant, ceci dit chacun fait ce qu’il peut...).
    Tuléar est une ville sans intérêt particulier, si ce n’est l’ambiance d’un bout du monde (la N7 s’arrête là) où l’on ne sait pas très bien ce que l’on attend. La devise est ici “mora mora” (doucement) et il n’y a qu’à se laisser paresseusement aller — ce qui n’est pas désagréable (dès lors que c’est une parenthèse que l’on a le pouvoir de refermer quand on veut, quant à ceux dont c’est la vie et sans espoir de changement... c’est une autre histoire !).
    Lorsque l’on évite de rester dans le milieu (assez fermé) des vazaha et que l’on fait des randonnées hors des sentiers battus à la découverte des gens, de leur manière de vivre, on ne peut qu’apprécier la gentillesse de la population et l’agréable simplicité des rencontres.

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    On se trouve dans la région des pêcheurs Vezos, leurs pirogues à balancier, avec voile carrée (le plus souvent formée d’un assemblage de sacs de riz), sont partout le long de la côte — laquelle est protégée sur 100 km par une barrière de corail. Avant c’était un peuple de pêcheurs nomades, comme ils se sont sédentarisés le lagon est surexploité et il y a beaucoup moins de poissons. Ceux qui pêchent en tirant leur filet sur la plage ne ramènent pas grand chose. Les autres doivent prendre des risques et aller avec leurs pirogues s’aventurer dans la mer (le Canal du Mozambique) au-delà du récif corallien.

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    Sur une petite place, à l’ombre d’un énorme tamarinier, une famille a installé un resto de plein air... et en libre service ( salades variées, poissons grillés, brochettes, riz, haricots blancs en sauce, viande en sauce, beignets, crêpes, tranches d’ananas ou de papayes... et tout le temps du café puisé à même une grande marmite). C’est très convivial — là se retrouvent tous ceux qui boudent les restos des hôtels et auberges.

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    Le beau temps semble s’être installé durablement (probablement jusqu’en décembre-janvier prochain). Nous prenons notre petit déjeuner tous les matins sous le tamarinier (il est énorme et doit peut-être avoir plusieurs centaines d’années — s’il pouvait raconter tout ce qui s’est passé à l’abri de son feuillage !...) C’est le rendez-vous quotidien des voyageurs lève-tôt (à la différence des touristes couche-tard — qui du reste ne mangent pas là). Rien que la préparation du café c’est tout un spectacle : les grains sont grillés dans une grande poêle, puis écrasés au pilon dans un mortier de bois ; le café est ensuite versé dans une très grande “chaussette” plongée dans la marmite où l’eau bout ; la “chaussette” est enfin maintenue suspendue au-dessus du chaudron, le temps qu’elle s’égoutte. Le café est fin prêt, puisé à même la marmite avec des tasses en fer émaillé (made in China), il est ma foi fort bon (et à disposition à toute heure de la journée).

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    En revenant de ma balade journalière le long de la côte, de loin je voyais une colonne de fumée noire, je me disais : même ici on n’échappe pas à la pollution, on doit faire brûler des pneus. À mon arrivée c’était l’effervescence au village, presque tous les gens étaient mobilisés pour porter des seaux d’eau. Tout un quartier fumait, plusieurs cases venaient de brûler. Séparées de l’incendie par un petit terrain vague, afin de les protéger des flammèches tourbillonnantes, nos paillotes avaient été copieusement arrosées — heureusement que le vent soufflait dans l’autre sens... Mais le drame c’est pour les gens d’à côté qui ont presque tout perdu (et là pas d’assurances !), ils n’ont pu sauver que quelques meubles, vêtements et vaisselle, entassés sur le bord des rues.
 
    Quatre geckos, résidents permanents de la case, ne cessent d’arpenter les murs et le toit de palmes — ce sont des alliés, ils chassent les moustiques. Parfois de très gros coléoptères se risquent à nous rendre visite, lorsque je les repousse du pied ils partent en émettant une sorte de sifflement. Les geckos poussent aussi des cris, assez forts, c’est pour moi une surprise (je n’avais pas entendu ça avec ceux du Maroc). Il fait très chaud et les bains de mer en sont d’autant plus agréables.

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    Une belle jeune fille si frêle qu’elle paraît avoir 13 ans. Je ne sais quel âge elle a vraiment, mais elle a déjà deux enfants (confiés à ses parents)... et dans son regard toute la tristesse du monde.
 
    Levé tôt, j’ai ce matin pris le premier taxi pour Tuléar — une camionnette bâchée, entassés sur des bancs, nos bagages sous les pieds. Mais la galère c’est au retour que nous l’avons connue. Pendant 10 km le taxi-brousse — un minibus tout déglingué — n’a cessé de tomber en panne — le plus souvent en des lieux sans ombre, en plein début d’après-midi ! C’est pour les femmes avec des enfants en bas âge que ce devait être le plus pénible — bien qu’elles en aient l’habitude. Finalement, après trois ou quatre “réparations” infructueuses, nous avons fait les 20 derniers km dans la benne d’un gros camion qui venait de transporter des sacs de charbon de bois. Et bien sûr nous en sommes descendus noirs comme des charbonniers !
 
    Depuis trois jours un cyclone se déplace sur le Canal du Mozambique et ici il pleut assez fort mais par intermittence. D’éclaircies en averses, je vais de courtes balades sur la plage (jamais loin d’un possible abri) à la case où je lis. J’ai fini un roman de Marc Lévy “Sept jours pour une éternité” et je viens de commencer “Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué” de Howard Buten (je profite des ressources d’une petite bibliothèque locale). L’avantage de ce temps c’est un agréable petit vent, un air relativement frais et un ciel et une mer aux tons changeants et contrastés.

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    Sur la plage où assis sur un rocher je lisais, un groupe de gamins en orchestre improvisé (guitare-planche à deux cordes, bouteilles en plastique en guise de percussions...) est venu une fois de plus me chanter la sérénade. La première fois c’est amusant — voire touchant —, les voir faire ça tous les jours, aller solliciter le moindre vazaha de passage, c’est moins marrant. Aujourd’hui, alors que je leur disais que je n’avais pas de “cadeau” à leur donner, ils insistaient : voulaient mon livre, la serviette sur laquelle j’étais assis... même mon sac en plastique — le charme s’était vraiment envolé !...
        
    Ici aussi les coqs doivent penser avec leur crête — un cran trop haut : ils se mettent à chanter dès 3h30 alors que le jour ne se lève que vers 6h...
 

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    19h40  Il pleut à verse et un vent à décorner les zébus souffle en rafales. Bien que quelques gouttes tombent ça et là du toit en palmes, l’étanchéité reste bonne heureusement. L’ampoule ne cesse de clignoter, le générateur doit avoir des problèmes — il fonctionne de la tombée de la nuit (18h30) jusque vers 22h (il n’y a hors des grandes villes ni eau courante ni électricité, et même dans les grandes villes les coupures d’électricité et d’eau sont fréquentes — un puits, une pompe qui alimente une citerne et le générateur, c’est ici un luxe réservé aux hôtels et à certaines auberges ).

    À l’ombre de l’arbre, en surplomb de la mer, où je m’arrête pour lire, souvent des enfants passent me voir, des fillettes m’apportent des figues de barbarie que je leur achète. Je m’assois sur les vestiges d’une dalle de ciment qui devait être le sol d’une case. De nombreux dessins y sont tracés au charbon de bois. Ce matin j’ai fait la connaissance de l’artiste. Un gamin qui allait pêcher au harpon est venu s’asseoir à côté de moi. Il essayait de lire mon livre. Il lit plutôt bien, mais il prononce les mots selon la prononciation en malgache, aussi il peut difficilement comprendre ce qu’il lit. Par exemple “le miel sauvage” devient “le mile sauvague”. Il a chanté et fait quelques nouveaux dessins. Il me semble qu’il a des rêves plus grands que ceux de ses camarades...

    Souvent le matin j’observe le retour de pêche d’un Vezo accompagné de deux de ses enfants dans leur pirogue à balancier. Parfois sa femme l’attend sur la plage avec ses petites filles et son plus jeune fils. Il ne rapporte pas plus d’un demi-seau de poissons... dur, dur, la vie de pêcheur Vezo.

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    Au cours de ma balade le long de la plage j’ai l’habitude d’emprunter un sentier qui me conduit à la piste (à quelque distance, la route parallèle à la côte), là où se trouve une paillote où l’on vend du café. Il y a à côté une église — une grande case rectangulaire dont la porte est surmontée d’une discrète croix. En ce jour de Pâques j’ai assisté à la sortie de la messe. C’est toujours un spectacle de voir tous ces gens endimanchés (quelques hommes mais surtout des femmes et des jeunes filles, la plupart de blanc vêtues). Deux femmes avec leurs jeunes enfants sont arrivées assises dans une carriole tirée par deux zébus, tandis qu’un homme leur faisait de l’ombre en tenant au-dessus d’elles une chatoyante ombrelle — une famille de noble lignée peut-être ? On leur a servi du café puis l’attelage a repris sa route...

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    Le bourlingueur dit l’indien (originaire du Canada) avait appelé son restaurant en France “L’os qui fume”. Lorsque les indiens du Canada avaient tué des bisons, ils découpaient la viande en lanières qu’ils faisaient sécher au soleil. Puis ils les suspendaient dans un vieux tipi fermé dont le sol était recouvert de braises sur lesquelles ils jetaient des os brisés. La fumée imprégnait la viande qui était ainsi protégée des insectes et des rongeurs. L’odeur d’os brûlé était très forte (comme une odeur de mèche de cheveux ou de bouts d’ongle brûlés, en plus fort) et se sentait de loin. Les indiens des alentours disaient : «l’os fume, on aura de la viande cet hiver».
 
    Le sud-ouest est la région des baobabs — c’est surtout plus au nord vers Morondava qu’il y en a le plus. J’ai profité d’une grande randonnée dans la campagne pour prendre quelques photos de ces arbres “plantés à l’envers”.

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   Bribes de voyage

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