Goulimime
À la terrasse où je prenais un café au lait, perdu dans son monde intérieur, un gars d’une trentaine d’années buvait un thé en mangeant du pain trempé dans de l’huile, tout en gesticulant, tantôt sifflotant, tantôt parlant tout seul. Je ne l’ai pas vu une seule fois me regarder, pas plus qu’il ne semblait prêter attention aux nombreux autres clients. Pourtant subitement il s’est levé pour venir tout droit vers moi m’apporter un demi-pain rond et une soucoupe d’huile d’olive. Il n’a rien voulu entendre à mon poli refus circonstancié. J’en ai donc mangé un peu, avant de lui rapporter le reste, en le remerciant — ce dont manifestement il n’avait que faire... Ce n’est pas toujours simple les relations humaines ! si ?
Lundi prochain c’est jour du nouvel an du calendrier musulman, on sent déjà une certaine effervescence dans la ville. Il est de tradition d’acheter un “tambour” aux enfants pour qu’ils puissent fêter l’événement dans un concert de percussions. On en trouve un peu partout sur de nombreux étals de rue. Bien qu’ils soient de fabrication sommaire, pour un usage de durée très limitée, l’achat est attentif, on les teste en les comparant, à la recherche de la meilleure sonorité. Il y en a à divers prix, de différentes grosseurs et plus ou moins artistiquement peints, afin que chacun puisse trouver son affaire.
Fam El Hisn
Au cours d’une longue randonnée, comme envoûté par cet impressionnant paysage désertique — pas un bruit, pas âme qui vive à portée de vue — je songeais qu’il ne manquait plus que la dépouille éventée d’un dromadaire pour parfaire l’ambiance. C’est alors qu’au détours d’un monticule apparaît le squelette blanchi d’un jeune dromadaire. Il y a des jours comme ça ! où l’imaginaire commande au réel.
L’ayant dérangé, ouvrant la mâchoire, il a fait mine de protester — à moins que tout simplement, perturbé dans son profond sommeil, il ait esquissé un bâillement.
Les villes-oasis proches de la frontière avec l’Algérie sont toutes des villes-garnison. À voir tous ces soldats désœuvrés, je me dis que la vie de militaire en temps de paix doit être terriblement mortelle !
Akka
Dans les environs les palmeraies sont très étendues et pour la plupart ne semblent pas souffrir d’un manque d’eau. C’est qu’elles bénéficient d’un système d’irrigation très élaboré, avec des canaux en surface et d’autres à 3-4 mètres sous terre. Certaines cependant, situées en terrain plus ingrat, sont en partie laissées à l’abandon.
Dans les villages presque toutes les constructions traditionnelles (en pisé) tombent en ruines — et sont remplacées par les imparables maisons en parpaings, la plupart en attente de leur 1er ou 2e étage. Subsiste cependant un magnifique ksar (en cours de restauration) construit en abrupt d’une falaise rocheuse.
Bien qu’ayant pris le parti, dans ces extraits de mes journaux de voyage, de ne pas retenir les remarques critiques, je ne peux m’empêcher ici de faire une exception :
Au terme d’une randonnée d’une demi-journée dans les villages et les palmeraies, sur environ une centaine d’enfants croisés pas un seul n’a omis d’assortir son “bonjour” d’une demande. Il n’y a pas si longtemps on avait droit aux formules complètes apprises par cœur : «bonjour monsieur (ou madame), comment tu t’appelles, donne-moi de l’argent». (Je repense à ce passage à côté d’une école, où tous les enfants, à la suite de l’instituteur, reprenaient à l’unisson : «Bonjour monsieur, bonjour madame, comment tu t’appelles ? où tu habites ? donne-moi de l’argent.») Maintenant dans la plupart des cas c’est plus expéditif : «Bonjour, un dirham» (ou comme si c’était plus convenable «Bonjour, un stylo»). Cette culture de la mendicité généralisée, c’est tout simplement consternant — dire que pour partie ce sont les touristes qui la suscitent et l’entretiennent (pour comble, en se donnant bonne conscience !). Quoi que l’on puisse offrir ça ne peut, bien sûr, changer la vie de ces enfants, par contre l’état d’esprit que cela engendre durablement... quels dégâts !...
Heureusement que parfois l’humour est là pour tempérer un peu cette réalité. Alors qu’en discussion avec des agriculteurs nous déclinions respectivement nos prénoms, un adolescent à bicyclette, passant à côté de nous sans s’arrêter, me dit avec un grand sourire : «moi je m’appelle Un-dirham».
On ne peut se lasser des flâneries dans les palmeraies. C’est la saison des labours, sur les petites parcelles la houe est tirée par un âne, voire un mulet. Aucun bruit de moteur ne vient troubler la quiétude des lieux — ce ne sont pas les injonctions, bien que constamment réitérées, du laboureur à son animal qui peuvent couvrir le chant des oiseaux, ni même le murmure de l’eau dans les canaux.
Il y a comme partout des femmes habillées de noir, mais ici la plupart, jeunes et moins jeunes, portent des vêtements de couleurs vives et chatoyantes : bleu, vert, jaune, fuchsia...
Je trouvais les cuillères en forme de louche particulièrement incommodes pour manger la soupe. C’est que je cherchais à les utiliser comme nos cuillères à soupe (et là mieux vaut avoir une grande bouche). Maintenant que j’en ai compris le bon usage ça va assurément nettement mieux !
Au soleil couchant, assis sur une pierre au pied d’un mur de terre, je regarde à travers les palmiers le ciel s’embraser, tout en goûtant à la fraîcheur aromatisée du soir, tandis que le mur me restitue dans le dos une part de la chaleur emmagasinée durant la journée. Avec le chant des criquets et de quelques oiseaux, c’est un spectacle complet — comme un “son et lumière” qui serait orchestré rien que pour moi.
Le retour sous la lune. Au détour des sentiers de la palmeraie, quelques silhouettes furtives de passants attardés. La gent animale se tait. Silence complet. Un rêve éveillé.
Bribes de voyage