Je suis repassé, non sans émotion, devant la maison de pierre d’un elfe. Je suis certainement le seul à savoir qu’il habite là. C’est qu’il y a deux ans il m’est magiquement apparu. Lors d’une promenade nocturne — comme de bien entendu par une nuit de pleine lune —, intrigué par le souffle chaud qui émanait de ce monolithe de pierre, je m’en suis approché. Il semblait respirer : un murmure s’en échappait — plus chantant que le bruit du vent, plus léger que le ruissellement de l’eau. J’avais dans ma poche un galet — de la forme et de la grosseur d’un œuf de cygne — que, selon ma manie, j’avais ramassé quelques jours plus tôt sur une plage. J’ai alors eu l’idée d’en frapper trois petits coups sur la paroi de pierre. Ce fut presque une caresse tant la texture du galet était lisse et douce (je pense qu’avec un vulgaire caillou j’aurais égratigné la roche et ça n’aurait pas opéré). Sans qu’aucune porte n’eut besoin de s’ouvrir un elfe a surgi. Les bras croisés il ne cessait de sautiller d’un pied sur l’autre, de se dandiner de droite à gauche. (Un elfe n’a pas d’âge. À voir les nombreuses et profondes griffures de la roche, il a dû connaître des époques tumultueuses — il fallait qu’il se sente suffisamment en confiance pour prendre le risque de sortir de son refuge de pierre.) Il m’a salué en clignant d’un œil tandis que, de l’autre côté, son oreille se recourbait, puis il a inversé et recommencé trois fois de suite. Il semblait satisfait de son effet parce qu’à chaque fois son sourire narquois remontait un peu plus haut — jusqu’aux oreilles. La lune se mirait dans ses grands yeux de biche — et il lui a suffi de les fermer pour disparaître à jamais. (Cette année je n’ai pas de galet dans ma poche.)