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En relisant Chateaubriand

EXTRAITS de mes JOURNAUX DE VOYAGE

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    Un cœur, une fleur et un scorpion

    Je viens de terminer la lecture d’Atala de Chateaubriand, un des textes fondateurs du romantisme (avec René et Le Dernier Abencerage), c’est bien sûr une histoire d’amour impossible et tragique, mélancolique à souhait. Le style de Chateaubriand a l’exubérance des paysages qu’il décrit et la flamboyance des passions qu’il dépeint. Les mœurs étaient rudes en ces siècles passés, avec la religion pour consolation mais aussi pour exacerber les sentiments. L’héroïne est, comme il se doit, belle et fragile telle une fleur, elle a le cœur tendre et pur, l’esprit tourmenté, et meurt empoisonnée.

    «... J’étais assis en silence au chevet du lit funèbre de mon Atala. Que de fois, durant son sommeil, j’avais supporté sur mes genoux cette tête charmante ! Que de fois je m’étais penché sur elle, pour entendre et pour respirer son souffle ! Mais à présent aucun bruit ne sortait de ce sein immobile, et c’était en vain que j’attendais le réveil de la beauté !
La lune prêta son pâle flambeau à cette veillée funèbre. (...) Bientôt elle répandit dans les bois ce grand secret de mélancolie (...)»


    J’ai un cœur, une fleur et un scorpion de tatoués sur le dos de la main. C’est une jeune fille qui me les a dessinés au henné — elle était si jolie que je n’ai pu résister.

    Un impossible amour

    Le romantisme est généralement associé à la quête de “l’âme sœur” — amour impossible parce que trop idéalisé. Dans Atala et René de Chateaubriand il est d’autant plus impossible qu’il concerne effectivement un frère et une sœur. Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand y évoque sa complicité avec Lucile, la plus jeune de ses sœurs, et leur commune mélancolie.


    «Lucile était grande et d’une beauté remarquable, mais sérieuse. Son visage pâle était accompagné de longs cheveux noirs, elle attachait souvent au ciel ou promenait autour d’elle des regards pleins de tristesse ou de feu. Sa démarche, sa voix, son sourire, sa physionomie avaient quelque chose de rêveur et de souffrant.
Lucile et moi nous nous étions inutiles. Quand nous parlions du monde, c’était de celui que nous portions au-dedans de nous et qui ressemblait bien peu au monde véritable. (...)
    La vie que nous menions à Combourg, ma sœur et moi, augmentait l’exaltation de notre âge et de notre caractère. Notre principal désennui consistait à nous promener côte à côte dans le grand Mail, au printemps sur un tapis de primevères, en automne sur un lit de feuilles séchées, en hiver sur une nappe de neige que brodait la trace des oiseaux, des écureuils et des hermines. Jeunes comme les primevères, tristes comme la feuille séchée, purs comme la neige nouvelle, il y avait harmonie entre nos récréations et nous.»

    La guerre des mondes

    La guerre des mondes c’est le titre du célèbre roman de science fiction de Wells (dont on a réalisé plusieurs films). Des extraterrestres ont envahi la terre... c’est aussi l’imaginaire qui prend le pas sur la réalité “pour de vrai”. En fait des deux mondes, le monde intérieur et le monde extérieur, lequel est le plus consistant ? Une fausse bonne question sans doute, puisque pour nous — êtres humains — aucun des deux ne peut exister sans l’autre. On pourrait croire que la licorne n’existe que dans notre monde intérieur, mais aurait-on pu la concevoir s’il n’y avait des chevaux blancs et des animaux à cornes ? Et un âne existerait-il pour nous si nous n’en avions pas une idée ? Il y a d’ailleurs tant de choses de la réalité objective qui n’existent pas pour nous, à défaut de pouvoir nous les représenter, nous en faire une idée. Et bien sûr ce dont on se fait une idée, c’est chacun à sa manière.

    Le voyageur-rêveur est attentif aux petites choses anodines, aux scènes fugitives, à même d’exciter sa sensibilité et qu’il peut interpréter à sa guise. Je pense à ce passage des Mémoires de Chateaubriand, à propos des idées erronées que l’on se faisait de lui :

    «En dernier résultat, tout n’étant égal, je n’insistait pas, un comme vous voudrez m’a toujours débarrassé de l’ennui de persuader personne ou de chercher à établir une vérité. Je rentre dans mon for intérieur, comme un lièvre dans son gîte : là je me remets à contempler la feuille qui remue ou le brin d’herbe qui s’incline.»

    Et à cet autre :
    «On diffère les uns des autres : je suis charmé de cette rigole déserte ; à la vue des Alpes, une palmette de fougère que je cueille me ravit ; le susurrement d’une vague parmi des cailloux me rend tout heureux ; un insecte imperceptible qui ne sera vu que de moi et qui s’enfonce sous une mousse ainsi que dans une vaste solitude, occupe mes regards et me fait rêver.»

    C’est une chance que d’aimer à rêvasser. Lorsque l’on n’a rien à faire on ne s’ennuie jamais. Et puis quand c’est “pour de rire” ce n’est pas si mal.                        

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    Sur la route ...

    (Avec une pensée pour le livre de Jack Kerouac.)

    Jeune homme Chateaubriand a commencé une vie de voyageur. De son périple en Amérique (côte Est, Canada, chutes du Niagara... une sacrée aventure à l’époque !) est né, entre autres, Atala, son premier grand succès littéraire. Après une carrière littéraire, et alors qu’il vient de mettre un terme à sa carrière politique, il écrit dans l’introduction de la quatrième partie de ses Mémoires :


    «Retourné à mes instincts primitifs, je redeviens libre et voyageur ; j’achève ma course comme je la commençai. Le cercle de mes jours, qui se ferme, me ramène au point du départ. Sur la route, que j’ai jadis parcourue conscrit insouciant, je vais cheminer vétéran expérimenté, cartouche de congé dans mon shako, chevrons du temps sur le bras, havresac rempli d’années sur le dos. Qui sait ? peut-être retrouverai-je d’étape en étape les rêveries de ma jeunesse ? J’appellerai beaucoup de songes à mon secours, pour me défendre contre cette horde de vérités qui s’engendrent dans les vieux jours, comme des dragons se cachent dans des ruines. Il ne tiendra qu’à moi de renouer les deux bouts de mon existence, de confondre des époques éloignées, de mêler des illusions d’âges divers (...)» 

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    De la fonction de la religion

    La fonction fondamentale de la religion (ou plutôt des religions) — apparue avec les premiers rites funéraires — est la promesse d’un au-delà — ce qui rend la mort plus supportable. (Pour l’animal qui se contente de vivre, la mort ne pose pas problème — elle fait partie de la vie. Pour l’être humain qui se spécifie par son besoin d’exister — en plus de vivre — la mort peut mettre un terme à la vie mais elle ne saurait mettre un terme à l’existence.) Son corollaire est la possibilité d’être “dédommagé” des souffrances vécues sur terre par la félicité éternelle (qui est alors d’autant plus méritée et donc assurée).

Chateaubriand s’interroge en 1841 à cet égard sur les conséquences d’une défection envers la religion :


    «Un état politique où des individus ont des millions de revenu tandis que d’autres individus meurent de faim, peut-il subsister quand la religion n’est plus là avec ses espérances hors de ce monde pour expliquer le sacrifice ?»

    Argent, liberté et espérance

    Avant de devenir un écrivain reconnu Chateaubriand a vécu dans la précarité, au point parfois de devoir se passer d’un repas sur deux. Au sommet de sa carrière politique, plusieurs fois ambassadeur, il a aussi vécu dans l’opulence, voire le faste — mais gardant toujours beaucoup de distance envers cette vie qui lui paraissait futile et souvent ennuyeuse. Au gré des aléas littéraires et des disgrâces politiques, trop imprévoyant sans doute, il a connu tout au long de sa vie des revers de fortune. À plus de 60 ans, ayant renoncé à ses fonctions politiques et pensions, l’éditeur de ses œuvres complètes ayant fait faillite, il se trouve de nouveau dans une situation précaire. Il écrit :


    «Oh ! argent que j’ai tant méprisé et que je ne puis aimer quoi que je fasse, je suis forcé d’avouer que tu as pourtant ton mérite : source de liberté, tu arranges mille choses dans notre existence, où tout est difficile sans toi. Excepté la gloire, que ne peux-tu pas procurer ? Avec toi on est beau, jeune, adoré ; on a considération, honneurs, qualités, vertus. Vous me direz qu’avec de l’argent on n’a que l’apparence de tout cela : qu’importe, si je crois vrai ce qui est faux ? trompez-moi bien et je vous tiens quitte du reste : la vie est-elle autre chose qu’un mensonge ?»

    Et, en repensant à sa précarité d’autrefois :
    «(...) la magicienne n’est plus là, la Jeunesse, qui par un sourire change l’indigence en trésor, qui vous amène pour maîtresse sa sœur cadette l’Espérance ; celle-ci aussi trompeuse que son aînée, mais revenant encore quand l’autre a fui pour toujours.»

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    Hommes et bêtes

    Je suis toujours choqué lorsque je vois des gens taper comme des brutes sur leur âne ou mulet, et leur faire porter des charges excessives. J’ai envie de leur dire : et si on vous faisait pareil ?! La dernière fois c’était (il y a moins d’une semaine) à Goulimime. Cet après-midi je repensais à cette bêtise humaine en lisant ce passage des Mémoires de Chateaubriand :


    «(...) Arrêté pour dîner entre six et sept heures du soir à Moskirch, je musais à la fenêtre de mon auberge : des troupeaux buvaient à une fontaine, une génisse sautait et folâtrait comme un chevreuil. Partout où l’on agit doucement envers les animaux, ils sont gais et se plaisent avec l’homme. En Allemagne et en Angleterre, on ne frappe point les chevaux, on ne les maltraite pas de paroles ; ils se rangent d’eux-mêmes au timon ; ils partent et s’arrêtent à la moindre émission de voix, au plus petit mouvement de la bride. De tous les peuples les Français sont les plus inhumains ; voyez nos postillons atteler leurs chevaux ? ils les poussent aux brancards à coups de botte dans le flanc, à coups de manche de fouet sur la tête, leur cassant la bouche avec le mors pour les faire reculer, accompagnant le tout de jurements, de cris et d’insultes au pauvre animal. On contraint les bêtes de somme à tirer ou à porter des fardeaux qui surpassent leurs forces, et, pour les obliger d’avancer, on leur coupe le cuir à virevoltes de lanières : la férocité du Gaulois nous est restée ; elle est seulement cachée sous la soie de nos bas et de nos cravates.»           

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 Pensée vagabonde